LE POINT DE NON-RETOUR
Le premier de Janvier, 2020

Les Fous ont atteint le Pacifique! Le 13 décembre, sous la Pleine Lune, ils ont traversé le canal de Panama. Avec ses six écluses, ce canal est, aux yeux d´un Hollandais, assez ridicule et ce ne doit être que le franchissement d’une barrière psychologique qui lui donne un peu d’éclat. A cet égard, elle s’apparente à la traversée de l’Atlantique qui, dans la période juste, est un exploit digne d’un marin du dimanche, car les vents favorables et l’inexistence de tempêtes sont garanties. Le manque d’une d’assurance maritime irréfutable a été le plus grand obstacle à franchir. Un retour en arrière est hors de question car les tarifs du canal ont doublé à la première heure de ce matin.

Ces derniers mois ont connu une progression constante. Dans le chantier naval de Carthagène des Indes, le navire est monté encore une fois dans le ciel, suivant ainsi pour la onzième fois une thérapie de survie qui maintient en vie des perspectives lointaines. Nous avons négligé quelques trous à tribord que le metteur-en-scène Leonid a réussi à plomber avec du ciment. Fait intéressant, nous avont passé près de trois mois dans la Kuna Yala, un archipel paradisiaque au large du Panama, habité par des tribus indigènes où les touristes s’aventurent à peine.

Là, nous avons profité de la beauté pour écrire le livre “Azart”, sur trente ans de merveilles et de désastres, qui dévoile quelques des secrets de l’odyssée erratique des Fous. Comment un navire centenaire transformé en yacht de luxe a réussi à naviguer sur les mers comme un théâtre sans argent. Le livre est prêt en février et pour cela le skipper vient à Amsterdam. Après tout, en achetant cet opus, vous remplirez les bunkers avec le diesel qui amène le navire au moins à mi-chemin de l’océan. Il semble que le thème de la “Semaine du Livre” néerlandaise au début du mois de mars soit spécialement conçu pour elle: “Rebelles et Non-conformistes”. D’eux, il n’a pas trop dans la petite république néerlandaise de Belles Lettres. Si jamais le navire traverse le désert australien, nous ajoutons rapidement huit pages et un best-seller mondial est né. Eh bien, ce livre n’est certainement pas commercial, il pourrait donc être malin d’embarquer à mi-chemin un écrivain-fantasme pour le retravailler, à condition qu’il ne souffre pas du mal de mer. Mais ca ne vaut plus le coup, car une fois là, on n’aura plus besoin d’argent, ayant atteint le but.

L’Australie nous appèle! Seul un joli bout d’océan nous sépare. Dans la bonne période, un peu comme l’Atlantique, l’océan est à la hauteur de son nom: Pacifique. Mais des récifs traître se cachent. Ce qu’il nous faut, ce sont des jeunes assez fous et forts pour se joindre. Tout un train de fous, plein d’espoir, a été rejeté, pour être chaotique, paresseux, têtu ou quoi que ce soit. Tous étant bien gentils. Jusqu’à présent, il y a six vétérans qui gardent le rêve vivant. Un navire de cent-quatre ans. Trois retraités approchant les soixant-dix. Un moteur de soixante ans. Le chat Moretti de quatorze ans. Venez, Vos Compagnons de Manières Sauvages, Venez au Nef des Fous! Cet appel date de six siècles. N’hésitez pas, sinon ça serait trop tard!

Il est grand temps que le skipper s’adapte aux techniques de navigation du nouveau millénaire. Juste pour apprendre quelques maudits logiciels. Jusqu’à présent, il sait naviguer avec des cartes maritimes de papier. Il a traversé l’Atlantique sur une carte de l’Atlantique du Nord de variation magnétique. Chaque centimètre couvre 120 milles. C’est comme avoir une belle globe dans la passerelle. Ce manque de guidage GPS herbérge certains dangers. Il y a quelques jours, nous avons décidé de passer les jours de fête sur une petite île à douze milles de la ville de Panama. Le skipper crut pouvoir y arriver à vue et ordonna à la timonière de pointer au milieu d’une île. Ce n’était pas la bonne île. La pauvre fille souffre du même syndrome que ceux qui se dirigent vers un canal parce que le système de navigation de voiture ainsi le dit. Le skipper était dans la salle des machines, en toute tranquilité. Quand il est monté sur la passerelle, il ne pouvait guère éviter un choc dramatique du navire qui visait le rocher à pleine vitesse. Nous aurons pu nagé ces quelques mètres. Mais c’est d’une nature tellement ridicule que les fous gagneraient instantanément quelque renommée mondiale, quoique un peu prématurément. D’une certaine manière, ce serait l’apothéose la plus poétique de l’histoire millénaire de la Nef des Fous, très, très difficile à battre. Certainement, le rocher d’Uluru le pourrait.